La priorité aux gens et promouvoir la solidarité dans le changement mondial

Comité de l’Internationale Socialiste pour l’Amérique latine et la Caraïbe, Kingston, Jamaïque, 1-2 septembre 2000

Original: espagnol

Le problème de la mondialisation qui se pose actuellement au monde apparaît directement lié au thème de l’indépendance, au delà des désirs des nations et il est vu de façon très différente tant par les secteurs de droite que par ceux de gauche. Il faut accepter la réalité, mais en même temps trouver des formules de prévention.

Le document de travail du Comité de l'Internationale Socialiste sur la Politique Economique, le Développement et l'Environnement de la fin avril 1996, affirme que la "mondialisation est la tendance la plus importante de l'économie mondiale", mais qu'il est nécessaire d'éviter la voie ultra-libérale, sans règles ni préoccupations sociales ou environnementales, qui globalisera la pauvreté, dans les pays en voie de développement comme dans les pays développés et uniformisera les droits sociaux au plus bas niveau et aura des effets négatifs sur l'environnement et la propagation de l'exclusion sociale. Ce document affirme en outre qu'il faut travailler sur une réforme profonde des institutions internationales, aussi bien celles figurant dans le traité de Bretton-Woods, que les normes et instructions de l'Organisation internationale du Commerce (anciennement GATT) afin de permettre un fonctionnement plus juste du système commercial. Il reconnaît également qu'il est crucial d'améliorer le niveau de vie, non seulement pour des raisons politiques, mais également pour des considérations économiques et sociales, des thèmes qui requièrent une mise au point de la coopération "étant donné que la mondialisation a considérablement réduit l'efficacité de la politique économique". Le document réclame également un "nouveau système de responsabilité collective" pour lutter contre "les dogmes économiques recyclés et obsolètes", pour empêcher les "corporations multinationales et les bureaucrates anonymes des organisations internationales influentes - délivrées du poids de toute responsabilité démocratique - de suivre en prenant des décisions qui affectent directement la vie et le bien-être de millions de personnes dans le monde entier.

Le Comité de l'Internationale Socialiste pour l'Amérique Latine et la Caraïbe (SICLAC) est d’accord avec les concepts énoncés dans le document et désire en outre insister sur la nécessité de promouvoir la solidarité dans le changement mondial, préconisée lors de la réunion du Conseil d'Oslo.

Il est bien évident que dans la région latino-américaine et caribéenne les forces mondialisatrices ont limité à l'extrême la capacité de décision nationale et augmenté les inégalités dans un contexte de dérégulation des marchés et de mobilité financière spéculative démesurée qui a entraîné la suppression de programmes sociaux et augmenté l'exclusion.

Il est indubitable qu'on assiste également à une augmentation de la dette et que les organismes internationaux de crédit continuent à accorder des prêts conditionnés à l'introduction de changements régressifs dans les politiques sociales et économiques.

Le sous-développement mondial est en train de conduire à la perte de la paix sociale dans de nombreux pays, à moins qu'on n'adopte des moyens tendant à améliorer les conditions commerciales, ou à réduire la dette, ou encore à transférer les connaissances. Si ces moyens ne sont pas utilisés, les entreprises financières et industrielles concentreront un pouvoir de décision incroyable et pèseront sur l'avenir de millions de personnes.

Il est indispensable de noter la contradiction immorale qui existe entre l'avancement du processus de mondialisation et la nature explosive des problèmes sociaux qui se posent dans les régions d’Amérique latine et des Caraïbes et qui peuvent dériver vers des séries de processus de délégitimisation, car on prétend également exercer les missions essentielles de l'Etat, telles que l'éducation, la santé et même le fonctionnement des institutions.

Pendant ce temps, les pays les plus développés parlent d'ouvrir les économies de l’Amérique latine et des Caraïbes, mais quand cela leur convient, ils attaquent les propres mécanismes du marché qu’ils proclament et apparaissent de nouvelles formes de protectionnisme, de restrictions au transfert des connaissances chaque fois plus agressives ainsi que le bilatéralisme, utilisé pour exclure les concurrents.

En général, la démocratie sait dominer les excès d'un capitalisme sauvage: elle a combattu le monopole et a essayé d'éviter l'exploitation des travailleurs. Actuellement, beaucoup de gouvernements d ‘Amérique latine et des Caraïbes sont inhibés par les excès de la mondialisation: les capitaux financiers esquivent la réglementation de l'Etat, et on constate une tendance prononcée vers l'oligopolistique, qui échappe à la législation sociale et entraîne une régression extraordinaire des systèmes de relations de travail; le chômage augmente d'une façon démesurée, l'éthique de la solidarité disparaît, alors que la marginalité augmente.

Le Centre de Développement de l'OCDE affirme que la mondialisation financière est la cause principale "de l'affaiblissement des politiques économiques nationales par rapport aux autres gouvernements, mais spécialement face au marché mondial… Ce phénomène a affaibli la capacité des Banques centrales à gérer les taux de change et a diminué la possibilité de rendre effective l'autonomie monétaire et la politique fiscale des gouvernements. Les Etats constatent l'érosion de la base de taxation des impôts sur les bénéfices, et les systèmes fiscaux reposent de plus en plus sur le travail et la consommation."

En ce qui concerne les investissements étrangers qui son nécessaires pour faire progresser les économies et diminuer le chômage, dans le monde globalisé ils cherchent à s'installer là où on paie des salaires inférieurs et moins d'impôts, une optique qui finit par nuire aux pays centraux.

De toutes façons, nous observons que le pouvoir réel n'appartient pas aux entreprises, mais aux marchés financiers. Il n'appartient pas non plus à l'autorité politique, de plus en plus contrôlée par le capital spéculatif.

La mondialisation entraîne un véritable changement d'époque. Petit à petit, ou soudainement, les principes du marché et du consumérisme commencent à agir sur les mentalités et les cœurs des populations. On constate rapidement qu'il s'agit d'une bataille culturelle.

L'impérialisme ne dépend plus des décisions nationales, mais se base sur les décisions des entreprises principalement financières qui déterminent leurs propres politiques transnationales. De la même façon que la mondialisation est redéfinie et subordonnée aux Etats nationaux, y compris aux plus forts, l'impérialisme est recréé sur de nouvelles bases et avec des formes différentes. Les entreprises transnationales qui se sont transformées en structures mondiales de pouvoir s'imposent aux Etats.

Dans chaque pays, dans chaque société, quels que soient les indicateurs de leur développement, les situations concrètes les plus préoccupantes, les défis immédiats à relever, cet antagonisme de fin de siècle entre deux perspectives, opposées en apparence et similaires au fond, semble se répéter sous des formes différentes: adaptation rapide aux conditions exigées par la mondialisation des marchés et abandon des échelles nationales ou retour aux communautés primitives, aux identités ethniques, régionales ou religieuses pour défendre ce qui semble menacé.

Il s’agit d’un des pièges les plus dangereux laissé par le cycle de crises de l'Etat de Bien-être et la réponse néo-conservatrice à la dite crise. Ceux qui chantent les louanges du dieu du Marché et ceux qui chantent celles de la patrie, du chef providentiel ou du paternalisme féodal, entonnent les mêmes strophes millénaristes, s'appuient les uns sur les autres et barrent la route aux opportunités réelles de reconstruction du domaine des grandes coalitions rénovatrices et réformistes qui souhaitent avancer vers une intégration et devancer les graves et déchirants conflits actuels.

Quelque chose de ce phénomène double imprègne actuellement la culture politique de la gouvernabilité dans des temps difficiles pour l'Amérique latine, en conjuguant dans un même discours et - ce qui est pire - dans un même exercice du pouvoir, des formes autoritaires de marché; une régression des relations politiques et une modernisation des lignes de production et de consommation, un "décisionnisme" personnaliste dans la gestion des institutions et le démantèlement de tous les instruments d'intervention publique dans le domaine social.

La mondialisation pourrait être un processus impossible à réfréner de transformation du capitalisme, de diversification et de multipolarisation des systèmes de production, d'accélération des échanges de produits par la révolution scientifique et technologique et le pouvoir des communications. Mais, au contraire on s'est tourné vers la consécration d'un système mondial auto-régulé, s'appuyant sur un circuit financier virtuel de mille millions de dollars informatisés et gouverné par une poignée de bureaux. Ainsi, quand on va au delà de l'administration supervisée des comptes fiscaux, la politique de chaque pays se réduit à des cendres ou des maquis perturbateurs.

L'adoption de cette dernière perspective, avec résignation ou enthousiasme, nous a précisément entraîné dans l'impasse que nous vivons actuellement, car la mondialisation ne peut être considérée que comme une menace ou comme une structure de pouvoir monolithique qui nous est implacablement imposée.

Dans la défense de l’identité le problème acquiert une importance économique. Les peuples des Etats-Unis et de l'Europe occidentale savent jusqu'à quel point la continuité de leurs systèmes démocratiques s'appuie au départ sur le développement et la prospérité.

Inversement, en Amérique Latine et dans les Caraïbes, on connaît prématurément les obstacles à franchir avec d'énormes difficultés par la démocratie pour survivre dans des sociétés qui se caractérisent par les crises, le sous-développement et la marginalisation.

Avec l'avènement de la mondialisation et la prédominance de l'économie de marché, il est nécessaire et urgent de reconnaître les problèmes particuliers auxquels doivent faire face les pays plus petits, afin qu'ils bénéficient des opportunités qui pourraient résulter de la croissance de l'économie mondiale. Ces problèmes particuliers comprennent, entre autres, et en plus des conséquences imprévues du système économique global, la vulnérabilité au crime, qui est actuellement organisé sur le plan mondial, et qui s'ajoute au trafic illégal des armes et des drogues, ce qui porte atteinte à la démocratie, à la stabilité sociale et aux relations communautaires ainsi que la vulnérabilité face aux catastrophes naturelles qui détruisent l'infrastructure critique, sociale comme économique.

Il n'est pas facile de préserver les valeurs démocratiques lorsque de vastes secteurs n’intègrent pas le marché, lorsque la misère dépouille les êtres humains de leur dignité, lorsque l'absence d'options enlève tout sens à la liberté, lorsque à cause de l'ignorance il est difficile d'évaluer le respect au désaccord.

Le paradoxe amer c'est que les démocraties avancées qui encouragent à consolider les institutions d’Amérique latine et des Caraïbes soient les mêmes qui les punissent en les discriminent sur le plan commercial.

Marginalisées commercialement, elles resteront aussi isolées des courants financiers indispensables pour générer des ressources qui sont canalisées vers l'investissement, la promotion du développement et la résolution du problème de la dette extérieure.

Le SICLAC soutient que de même qu'au sein des Etats nationaux la protection des plus faibles s'obtient par une vigilance totale de l'Etat de droit, dans les relations internationales la protection effective des pays moins puissants s'obtient par la force sans limites du droit international.

Il faut travailler à la fondation d'un ordre international basé surtout sur le Droit, plutôt que sur l'équilibre des forces. Il est nécessaire de renforcer et d'étendre le multilatéralisme, sur le terrain strictement politique comme sur le terrain économique. Dans tous les forums, il faut travailler intensément sur la coexistence coopérative de nations libres et égales.

Le SICLAC insiste sur la nécessité d’une intégration sur le plan régional. L'intégration par blocs économiques suppose des marchés étendus, qui malgré leurs difficultés, aideront à surmonter la crise structurelle profonde traversée par les économies de l’Amérique latine et des Caraïbes, en stimulant des courants d'investissements authentiques et des possibilités de production sur une grande échelle.

La crise de l'Etat nécessite des changements et des modifications du rôle de l'Etat lui-même pour parvenir à ses fins essentielles. C'est l'heure des grands espaces régionaux où le développement économique dépend de moins en moins d'un pays en particulier et de plus en plus de l'intégration régionale qui, au passage, permet d'éviter les effets négatifs des spéculations financières générées par la mondialisation.

L'une de ces propositions doit être l'engagement de chaque Etat à promouvoir et soutenir la pratique d'un bon gouvernement à l'intérieur de son pays, et à avoir une administration effective de l'économie.

Il faut créer dans les régions respectives un système qui facilite l’intégration en se basant sur l'indispensable démocratisation générale: compatibilité des changes, échange commercial libre, ensemble de normes juridiques partagées et une volonté commune de fixer les règles du jeu en fonction des intérêts propres sans aspirations hégémoniques et sans fausses compétences, en renforçant l'établissement de bases politiques solides d'intégration.

Une autre difficulté concerne le thème de la dette extérieure, dont l'absence de définition rendra très difficile la réalisation de politiques économiques avec des règles du jeu très claires. Le Conseil de l'Internationale Socialiste qui s'est réuni à Bruxelles a décidé de réaliser une campagne en faveur de l’annulation de la dette extérieure des pays les plus pauvres. Le SICLAC affirme que dans le cas des pays en développement intermédiaire, il faut trouver des méthodologies qui permettent une exécution compatible avec leur développement.

Il est certain que le communisme est un programme sans avenir. Mais le programme qui se base sur l'égoïsme et l'injustice est également un programme sans avenir qui engendre irrémédiablement une crise morale génératrice de différents processus de dissolution sociale.

Le SICLAC considère l'obtention dans tous les secteurs de la création de l'emploi productif et stable comme une priorité car la garantie des bénéfices de la sécurité sociale est une obligation de l'Etat qu'il ne peut pas déléguer.

Enfin, il répéte qu'il peut y avoir une autre version de la mondialisation, sur laquelle il va travailler. Si l’on incorpore l'idée de la solidarité, ce qui n'est pas le cas actuellement, cela peut signifier une augmentation de l'efficacité et de la production et, si l'effort est fondamentalement éthique on fera un pas vers la justice, en refusant les idées et la logique de la marginalisation, les inégalités, l'exclusion sociale et l'impossibilité de soutenir le développement.

A cet effet, le SICLAC prévient qu’il n'a pas peur d'être contre le courant politique qui prévaut, afin de ne pas transiger sur ses convictions ni oublier ses principes: le seul poids qui va toujours dans le sens du courant est le poids mort.

Le SICLAC répéte qu’il se pose de sérieux problèmes de pénurie économique. Il n'ignore pas que la stabilité économique est essentielle. Mais le grand défi consiste à croître avec équité.