I. Introduction: Les minorités - un nouveau défi à la politique internationale dans la transition vers le 21ème siècle
Les différences de culture, de patrimoine ethnique et de liens nationaux constituent un avantage mais aussi un danger dans un monde qui devient chaque jour techniquement plus réduit. Après la guerre froide, deux dynamiques font sentir leurs effets avec rapidité: la nécessité d'actions communes, et le besoin des peuples et des minorités de se séparer ou même de créer de nouvelles frontières. La plupart des querelles et des guerres des années 90 - qui sont toutes un désastre pour des millions de gens - sont liées à des tensions culturelles, ethniques ou religieuses.
L'IS a le devoir de relever ce défi et d'offrir des recommandations dans un monde tant marqué par la nécessité de définir les responsabilités à l'échelon mondial et en même temps de répondre aux aspirations locales ou régionales, culturelles ou religieuses.
1. L'IS a inclus la protection des minorités dans ses Déclarations de principes de 1951 et de 1989.
La Déclaration de 1951 reconnaît "le gouvernement par la majorité tout en protégeant les droits de la minorité" comme étant une forme importante de l'ordre démocratique, et demande l'égalité "quels que soient la naissance, le sexe, les croyances, la langue ou la race" et accorde "aux groupes qui ont leur propre langue, le droit à l'autonomie culturelle" (I.3).
Dans la Déclaration de principes de 1989, ces idées sont reprises, accompagnées de la déclaration que pour être qualifié de démocratique, un système politique doit garantir "tous leurs droits aux individus et aux minorités organisées" (Article 21, cf. aussi 14, 18, 19).
2. Par cette déclaration, l'IS souligne encore une fois que les droits des minorités constituent un principe fondamental des sociétés démocratiques libres. Leur protection est l'un des principes de base des droits de l'homme. L'IS appelle ses partis membres à inscrire ce débat à l'ordre du jour de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme qui doit avoir lieu à Vienne en 1993. Il faut que celle-ci inscrive les droits de la femme à un point séparé de son ordre du jour.
3. Protéger les droits des minorités signifie respecter la liberté de l'individu en tant que valeur centrale de la démocratie. Les principes de l'IS continuent à donner un rôle central à la liberté de l'individu de faire partie ou de se séparer d'une minorité religieuse ou culturelle. La décision en revient à l'individu et ne doit en aucun cas mener à le désavantager. L'IS croit fermement en la stricte séparation de l'Etat et de la religion et rejette les tentatives d'utiliser la religion comme prétexte pour restreindre les droits de l'homme. L'IS se réjouit des efforts accomplis pour traiter les problèmes posés par les concepts d'ethnie et de communauté dans le contexte des droits de propriété à la terre et à l'eau.
4. La démocratie implique un gouvernement temporairement légitimé par la majorité, à la condition que les droits fondamentaux des minorités soient sauvegardés, et que certaines procédures soient acceptées. Il y a des principes qui ne peuvent jamais être révoqués par une décision de la majorité, en particulier le respect des droits de l'homme, le pluralisme et la tolérance.
5. La résolution pacifique de tous les conflits, au sein d'un ordre démocratique, est un but important de l'IS.
Il faut considérer les conflits, qu'il s'agisse de désaccords cruciaux entre des intérêts différents ou de conflits plus sérieux, comme des confrontations avec un adversaire démocratique - et non comme des combats avec un ennemi.
Cette distinction est importante, surtout lorsque l'on débat des droits des minorités.
6. L'IS soutient les initiatives de la CSCE, du Conseil de l'Europe et de l'ONU. Nous nous réjouissons en particulier de la décision de la CSCE de ne pas considérer les rapports avec les minorités purement comme une affaire nationale.
Nous travaillerons à la mise en œuvre des principes déjà formulés de protection des minorités.
Nous désirons participer intensivement au débat sur la continuation du développement du Droit international, qui a atteint un stade nouveau: la question de savoir si, en plus des droits principalement individuels de l'homme codifiés jusqu'à présent, l'on peut, ou l'on doit, ancrer les droits des groupes (tels que les droits collectifs des minorités) dans les relations de la communauté internationale. Nous nous réjouissons de diverses tentatives pour consolider les mécanismes à l'échelon international, ainsi que des systèmes de première alerte concernant les violations des droits des minorités. Par exemple, le nouveau haut-commissaire sur les minorités nationales à la CSCE, le mécanisme-rapporteur de la CSCE de Moscou sur la dimension humaine, et les travaux en cours pour une convention inter-américaine sur la protection des peuples indigènes.
II. Droits universels de l'homme et droits des minorités
7. Il n'existe toujours pas de charte compréhensive et contraignante concernant les droits des minorités, bien qu'il y ait eu des tentatives pour élaborer un tel texte sous l'égide du Conseil de l'Europe et de l'ONU. Il n'existe jusqu'à présent qu'un article contraignant, l'article 27 de la Convention de 1966 de l'ONU concernant les droits civils et politiques. La principale charte existante qui fasse autorité en matière des droits des minorités est le chapitre IV du document influent de Copenhague produit par la Conférence de la CSCE sur la dimension humaine (1990), qui, s'il n'est pas à proprement parler un document juridique, lie toutefois du point de vue politique et moral les Etats qui participent à la CSCE et qui sont désormais au nombre de 52, et le Protocole additionnel de la Convention américaine sur les droits économiques, sociaux et culturels. Le Document de Copenhague, s'il est lu en conjonction avec le Rapport de Genève de la CSCE, les paragraphes appropriés de l'importante Charte de Paris pour une Nouvelle Europe, et les récents Documents de Helsinki de la CSCE, fait état d'une impressionnante liste de droits des minorités et de l'obligation pour les Etats de respecter et/ou d'encourager l'identité des minorités.
8. Conformément à la Charte de Paris pour une Nouvelle Europe, signée par les Etats membres de la CSCE en novembre 1990, les droits des minorités devront être rendus compatibles avec le droit des peuples à l'auto-détermination tel qu'il est stipulé dans la Charte des Nations unies, le respect de l'intégrité territoriale des Etats, la non-modification des frontières par l'usage de la force et la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un autre Etat.
9. Le droit à l'auto-détermination démocratique des peuples a toujours été un souci fondamental du mouvement social-démocrate. Il a servi de base à la lutte d'indépendance de nombreux mouvements de libération au vingtième siècle. L'Internationale socialiste est consciente qu'il faut trouver un équilibre entre les trois principes si souvent en conflit: la souveraineté des nations, l'autonomie et la liberté des minorités, et les droits fondamentaux de l'individu. La démocratie sociale et parlementaire représente le moyen de réaliser cet équilibre à l'échelon national; les liens et institutions internationaux devraient en être le moyen à l'échelon international.
10. Les problèmes des minorités peuvent être intensifiés par l'inégalité sociale et matérielle, transformant des luttes pour la distribution des richesses en conflits ethniques et culturels. S'il était possible de remédier aux désavantages structurels et aux déficiences grossières, on pourrait éviter de nombreux conflits potentiels entre différents groupes.
11. L'IS ne vise pas à donner à la réalité politique des minorités une définition définitive, mais le message doit être clair: ce n'est rien d'autre que la non-discrimination, la tolérance, et la protection des groupes culturels, ethniques et religieux minoritaires de la part des majorités ou d'autres minorités.
12. Les minorités sont décrites comme représentant une proportion réduite de la population, ayant un statut non dominant et se distinguant par certains aspects de la population totale: il y a des minorités nationales, ethniques, culturelles, linguistiques et religieuses ainsi que des minorités internationales (comme les Sinto et les Rom). Elles peuvent être soit éparpillées, soit concentrées dans une région.
13. Les moyens d'existence de nombreux peuples indigènes, dont le mode de vie traditionnel fait contraste aux normes sociales de leur environnement, sont souvent menacés par le changement et l'industrialisation.
Les immigrés de deuxième ou troisième génération qui désirent rester dans le pays où leurs parents sont venus travailler, sont souvent partagés entre la culture de leur famille et celle de la société dans laquelle ils ont grandi.
Les filles souffrent des attitudes patriarcales, religieuses et traditionnelles de leurs parents et d'autres personnes, qui limitent leurs libertés personnelles.
14. L'IS exhorte la communauté internationale à ratifier et à mettre en œuvre la Convention internationale sur les droits civils et politiques ainsi que le Protocole optionnel de cette convention afin d'améliorer la protection juridique internationale des minorités par l'article 13 et 26 et surtout par l'article 27 de cette convention.
15. En principe, conformément au Pacte de l'ONU sur les droits civils et politiques, les membres des minorités ont le droit, soit en tant qu'individu, soit en tant que groupe, d'exprimer librement, de préserver et de développer davantage leur identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse, sans avoir à subir de tentatives d'assimilation contre leur gré.
Ils doivent pouvoir bénéficier de leurs droits de l'homme et de leurs libertés fondamentales sans faire face à la discrimination, et en une égalité complète devant la loi.
Il est inacceptable que certains groupes de minorités violent les droits d'individus sous le prétexte de leurs traditions (comme dans le cas des femmes battues, des mariages forcés et de la mutilation sexuelle des filles).
16. La prohibition de toute forme d'expulsion ou de transfert forcé est une condition préalable indispensable, comme l'ont déclaré récemment le Document de Helsinki de la CSCE, signé par les Etats qui participent à la CSCE, et l'article 13 de la Convention internationale sur les droits civils et politiques.
L'IS soutiendra toute démarche menant à une "Convention contre toute forme d'expulsion des minorités" de l'ONU.
17. La protection des minorités nécessite une action politique: des programmes publics dans des domaines comme l'éducation, et la formation professionnelle; des mesures spéciales pour la protection des individus, de la propriété et des institutions des minorités menacées. Dans certains cas, des actions affirmatives, telles qu'une représentation minimum auprès des organismes élus, peuvent contribuer à compenser la discrimination politique. La liberté de former des organisations politiques doit être garantie par la loi.
18. On peut garantir de plusieurs manières les droits des minorités à la participation politique, dans le cadre de la loi ou de la constitution. Les lois électorales peuvent stipuler que les membres de minorités ou leurs organisations doivent être représentés dans les principaux organismes politiques. Ils doivent toujours avoir la possibilité de s'organiser en alliances ou partis politiques.
Dans les pays où existe une importante minorité, qui se trouve en majorité dans une région suffisamment distincte et intégrée de ce pays, il sera permis de considérer des possibilités d'auto-administration dans la mesure où celle-ci ne mettra pas en danger les droits d'autres minorités ou des autres membres de la majorité.
19. Dans les sociétés multilingues, la langue représente un élément crucial. Il faut garantir aux minorités le droit de communiquer dans leur propre langue et d'utiliser leurs propres prénoms, noms de famille et noms de lieux, autant officiellement que dans le privé. De même, il faudrait que les membres des minorités culturelles et religieuses aient toujours l'occasion d'apprendre et d'utiliser la langue officielle de la culture majoritaire. Il faut que soient ouvertes aux minorités d'autres formes d'identification et d'expression culturelles, non seulement dans le domaine des arts (littérature, musique, danse, art dramatique et cinéma) mais aussi dans les moyens de communication et d'expression religieuse (journaux, livres, radio, TV).
20. Il faut que les membres des minorités et leurs organisations reçoivent des assurances, dans le cadre de la loi ou de la constitution, qu'ils pourront entamer des poursuites auprès de tribunaux internationaux.
III. Perspectives
21. La paix intérieure entre les différents groupes ethniques ou religieux doit devenir un élément du nouvel ordre international. Les Etats membres d'institutions supranationales doivent l'accepter. Les Etats qui veulent établir des relations spéciales, quelles qu'elles soient, avec des groupes qui leur sont apparentés dans d'autres Etats, doivent se conformer également au principe de la souveraineté de cet Etat et aux exigences de la paix internationale.
22. La démocratie prospère grâce au débat. L'intégration de la société, de la majorité et des minorités, ne peut être réalisée que par un dialogue politique dans lequel les interlocuteurs respectent les principes fondamentaux de la démocratie pluraliste et de l'Etat constitutionnel.
23. L'équilibre entre l'administration centrale et les autorités régionales est un élément clé des futures stratégies de réforme. La participation politique deviendra de plus en plus liée à une politique délibérée de décentralisation.
24. L'Internationale socialiste, à laquelle appartiennent, de par leurs buts communs, des partis socialistes et sociaux-démocrates de tous les continents, s'est fixé la tâche de traiter régulièrement et officiellement les problèmes concernant les droits et la protection des minorités. Le conseil devrait donc envisager la mise en place d'un groupe pour rassembler des informations sur les questions et expériences et pour soumettre un rapport à chaque congrès de l'IS.
25. Cette déclaration servira de plate-forme de base aux partis membres de l'Internationale socialiste, sur toutes les questions concernant les droits des minorités. Les partis membres acceptent d'observer les principes définis dans cette déclaration.