Introduction - La démocratie et les processus électoraux
Dakar fue la sede del Comité Africa de la IS, 12-13 de julio de 2004
Dès l’entame de son essai intitulé « Les démocraties », le constitutionnaliste et politologue Olivier DUHAMEL résume en sept phrases brèves plusieurs millénaires de construction du pouvoir démocratique. Je cite : « Les hommes ont vécu dès l’origine en groupes. Les groupes formèrent des sociétés. Les sociétés se dotèrent d’un pouvoir. Le pouvoir se transforma en État. L’État reposa ou perdura par le consentement. Le consentement devint explicite. L’explicite dut se renouveler ». Fin de citation.
Le consentement sur lequel repose l’État et par lequel il perdure, ne peut justement devenir explicite et se renouveler que si l’exercice du pouvoir par le peuple est organisé. Mais, c’est parce que nous convenons de l’impossibilité, voire du danger, de la démocratie absolue, totale et permanente que nous acceptons la nécessité de bâtir l’exercice du pouvoir par le peuple dans le moule de la démocratie gouvernante et représentative. Ainsi, le consentement n’est pas convoqué en permanence et sur toutes les questions ; il devient explicite et intermittent par la voix rendue, périodiquement, au peuple par le biais d’élections pour la désignation de ses gouvernants et de ses représentants.
Dès lors, le processus électoral et, subséquemment, les élections qui en sont l’aboutissement, apparaissent, ensemble, comme un enjeu suprême de pouvoir, ainsi que des moyens par lesquels s’exerce et s’évalue la démocratie dans un pays. Cela est d’autant plus vrai dans les pays africains où, dans bien des cas, les contestations et les conflits pré et post-électoraux, continuent de rythmer les rapports entre les acteurs politiques et de saper la paix et l’unité nationale.
C’est pourquoi, le thème « Démocratie et processus électoraux en Afrique » est non seulement actuel dans un tel contexte, mais aussi pertinent pour une réunion de partis du Comité Afrique de l’Internationale socialiste. Pour nous socialistes donc, la promotion de la démocratie et de la transparence électorale ne constitue pas seulement un impératif moral ; c’est aussi un facteur déterminant de prévention des conflits, de stabilité, de bonne gouvernance et de développement. Perçus sous ce rapport, les trois thèmes de notre réunion entretiennent des relations de connexité et de complémentarité évidentes.
Mais, comment traiter de la démocratie et des processus électoraux en Afrique, devant un aréopage de théoriciens et praticiens éminents de la chose politique sans tomber dans des redites et des lieux communs ? Pour éviter un tel piège, permettez-nous de vous épargner des rappels sur l’origine grecque de la démocratie ou sur les différentes formes qu’elle a empruntées au cours de l’histoire.
L’approche du sujet s’avère ainsi plus pragmatique et nous amène à rappeler quelques principes directeurs de la démocratie et des processus électoraux, à les illustrer parfois par des cas pratiques et à soulever des interrogations auxquelles nos expériences respectives apporteront des réponses mutuellement enrichissantes.
L’actualité du thème s’explique aussi par l’intérêt d’une évaluation rendue nécessaire par les stagnations , les reculs et les remises en cause que connaît l’expérience de démocratisation, enclenchée en Afrique au début de la décennie 90 sous la conjugaison de plusieurs facteurs internes et externes. Il faut l’avouer : le processus démocratique a donné des résultats mitigés, pour ne pas dire décevants. Si des progrès démocratiques considérables ont été réalisés dans certains pays, pour d’autres par contre, les élections n’ont été qu’un moyen pratique de légitimation d’un pouvoir « électoralement » confisqué. Quinze ans après le début de la transition démocratique, la cartographie suivante peut ainsi être dressée.
1. Les pays où le processus démocratique a été respecté ou qui ont accompli des progrès dans l’approfondissement de la démocratie.
2. Les pays ayant enregistré des acquis démocratiques et qui ont même connu une alternance politique pacifique, mais où les nouveaux gouvernants remettent en cause certaines avancées démocratiques.
3. Les démocraties de façade où les élections et un relatif desserrement de l’autoritarisme n’ont été qu’un vernis destiné à la communauté internationale.
4. Les pays où les processus démocratiques ont été interrompus par des coups d’État.
5. Et enfin, ceux où tout processus démocratique est impossible à l’heure actuelle à cause de conflits ou parce que l’État y est déliquescent et ne contrôle qu’une partie de son territoire.
Dans le même temps, les processus électoraux continuent d’alimenter de vives controverses et les contestations des résultats des élections qui en dérivent, fragilisent la légitimité des pouvoirs en place.
C’est pourquoi des standards minimaux ont été progressivement définis, au plan international, tant pour la démocratie que pour les processus électoraux. Ces normes internationales sont venues compléter et préciser des textes plus généraux comme la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ou la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Plus récemment, la Déclaration de l’Union africaine sur les élections, la démocratie et la gouvernance a rappelé les conditions à respecter pour la démocratie et pour des élections libres, sincères et transparentes.
Loin de nous l’idée de soutenir un modèle universel de démocratie que tous les pays doivent adopter. Cette approche serait, du reste, impossible et conduirait à un résultat contraire à celui escompté car, il faut le reconnaître et l’admettre, la démocratie peut emprunter des trajectoires et des formats spécifiques tenant compte de circonstances politiques, sociales et économiques, ainsi que de facteurs historiques et culturels propres à chaque pays. Bien qu’il n’existe donc pas de modèle démocratique unique, il y a des principes universels auxquels les pays africains eux-mêmes ont adhéré.
La littérature politique et juridique a fixé un certain nombre de conditions qui servent à évaluer si un pays est démocratique et non.
1. Le peuple doit exercer un contrôle sur le gouvernement soit directement, soit par l’entremise de ses représentants élus.
2. Les élus doivent être choisis, à intervalles réguliers, lors d'élections libres, sincères et transparentes.
3. Les élus doivent être en mesure d'exercer leur pouvoir constitutionnel sans faire face à une opposition ou à une influence dominante de personnes ou groupes d’intérêts non élus.
4. Le vote doit être universel, égal et secret.
5. Tout citoyen adulte doit jouir du droit de se présenter comme candidat lors des élections.
6. Les citoyens doivent avoir le droit d'exprimer leurs opinions sans crainte de représailles par l'État.
7. Les citoyens doivent avoir le droit de disposer de différentes sources d'information, telles que les médias, et de telles sources doivent être protégées par la loi.
8 Les citoyens doivent avoir le droit de former des associations et organisations, y compris des partis politiques.
9. Il existe des institutions publiques qui fonctionnent, une séparation des pouvoirs constitutionnels et des contre-pouvoirs dans la société.
10. Le gouvernement ne doit pas être sous le joug d’une influence étrangère qui aliène la souveraineté populaire.
Si une des conditions est absente, beaucoup d’observateurs jugent que le pays n'est pas réellement une démocratie. Par conséquent, les élections à elles seules — fussent-elles libres, sincères et transparentes — ne suffisent pas à donner le label démocratique à un pays. En plus des élections, il faut une architecture institutionnelle qui organise et garantit, entre autres : les droits et libertés fondamentaux des citoyens ; la séparation des pouvoirs constitutionnels ; l’existence de contre-pouvoirs ; l’égalité de tous, y compris des gouvernants, devant la loi.
Cependant, pour les socialistes que nous sommes, l’exigence de liberté, qui va de pair avec la démocratie, ne signifie pas que la puissance économique ou financière doit remplacer la légitimité ou corrompre les possibilités de choix des citoyens. En effet, l’idéal démocratique serait dévoyé s’il n’était que le gouvernement du plus fort, par le plus fort et pour le plus fort. Peu importe que le plus fort soit un pouvoir politique ou une puissance d’argent ! La démocratie n’a pas qu’un caractère politique, elle est aussi économique et sociale : ce qui implique une redistribution équitable des richesses produites et une promotion de la justice sociale et de l’égalité des chances.
Mais, que l’on nous comprenne bien : même si les élections ne sont pas une condition suffisante à la démocratie, elles n’en sont pas moins nécessaires pour légitimer l’exercice du pouvoir. Des élections libres, sincères et transparentes constituent aussi un moment fort de « respiration démocratique » parce que le processus électoral qui y conduit, est une occasion privilégiée de déploiement et de pleine jouissance des autres critères de la démocratie.
Apparaît donc clairement l’importance d’un processus électoral fiable et crédible permettant d’élire un pouvoir émanant réellement du peuple. Les approches d’organisation des élections et de conduite de processus électoraux sont, certes, diverses. Mais, il existe, à ce niveau aussi, des repères incontournables permettant de baliser la voie vers des élections libres, sincères et transparentes.
Il s’agit, en premier lieu, des fondements juridiques des processus électoraux. Pour être transparent, le processus électoral requiert un cadre légal bien défini qui trouve sa source dans les conventions internationales ou dans des accords de paix pour des élections post-conflit ; dans la Constitution ; dans la loi et la réglementation électorales. Il arrive parfois que des actes non institutionnels comme des chartes, pactes ou codes de conduite ou d’éthique, tacites ou explicites, régissent aussi la compétition entre les acteurs politiques.
En plus du contenu, tout aussi importantes sont les modalités d’élaboration et de réforme de la loi électorale. L’expérience a montré que les règles du jeu électoral peuvent être souvent modifiées par les tenants du pouvoir au gré de leurs intérêts partisans à court terme. Il s’avère donc essentiel que l’élaboration et la réforme de la loi électorale suivent des procédures participatives, consensuelles et démocratiques. C’est à ce prix que le processus électoral pourra bénéficier d’une large légitimité institutionnelle et populaire qui puisse lui garantir une certaine stabilité et longévité.
Aussi, le dispositif juridique organisant le processus électoral devra-t-il être cohérent et complet. Son contenu doit être structuré de façon non ambiguë, compréhensible et transparente. Il doit couvrir toutes les composantes et toutes les étapes du processus électoral. Ses différentes stipulations doivent être applicables car tout blocage risque d’entamer la crédibilité des élections.
Même s’il est cohérent et complet, le cadre légal doit effectivement s’appliquer pour être crédible. Les ONG internationales et nationales d’observation électorale, ainsi que les programmes d’assistance à la tenue d’élections, ne se suffisent pas seulement des textes juridiques. Dans leur méthodologie de validation d’une élection, ils en vérifient l’application effective sous le prisme de plusieurs paramètres dont les plus récurrents dans les manuels d’observation électorale sont les suivants :
1. Le degré d’impartialité dont a fait preuve l’organe chargé d’assurer le déroulement du processus électoral ;
2. Le degré de liberté dont jouissent les partis politiques et les candidats pour s’organiser, se déplacer, se réunir, et exprimer leur opinion ;
3. L’équité dans l’accès aux ressources publiques mises à disposition pour l’élection ;
4. L’égalité d’accès des partis politiques et des candidats aux médias, en particulier aux médias publics ;
5. L’inscription des électeurs sans discrimination sur la base du sexe, de la race, de l’ethnie, de la religion ou autre ;
6. Le déroulement libre du scrutin et le dépouillement transparent des voix.
Il ressort de cette liste de critères que le premier facteur de validité d’une élection est le degré d’impartialité dont a fait preuve l’organe chargé d’assurer le déroulement du processus électoral. Il en est ainsi parce que la responsabilité de l’organisation des élections est certainement la composante du processus électoral pour laquelle on note plusieurs options et qui éveille aussi beaucoup de suspicion. Dans la pratique, les pays peuvent être classés en quatre catégories en fonction de leurs types d’organismes électoraux, dépendant du niveau de consolidation des institutions et du degré de confiance ou de méfiance des acteurs politiques. On distingue ainsi :
1. Les pays où l'administration du processus électoral est totalement assurée par leurs institutions constitutionnelles normales (administration et pouvoir judiciaire) ;
2. Les pays qui, même lorsque leurs institutions exécutives et judiciaires sont en mesure de gérer le processus électoral, n’en éprouvent pas moins la nécessité de mettre en place un organe électoral de supervision et de contrôle, voire d’arbitrage de premier niveau. Cet organe n’est pas chargé de la conduite du processus électoral, mais contrôle les activités du pouvoir exécutif alors que le pouvoir judiciaire est maintenu dans ses attributions ;
3. Les pays qui confient l'organisation des élections à des organismes électoraux autonomes qui, néanmoins, demeurent sous le contrôle des institutions judiciaires ;
4. au degré ultime de méfiance se retrouvent les pays où une Cour électorale ou une Commission électorale nationale indépendante, agissant comme un quatrième pouvoir d’État, est chargée aussi bien de l’organisation des élections que du contentieux électoral.
En Afrique, les expériences de transition démocratique du début des années 90 ont été, pour la plupart, conduites par des commissions électorales nationales autonomes ou indépendantes (CENA ou CENI). A l’épreuve, force est de constater qu’elles ne sont pas la panacée, surtout lorsqu’elles ont échappé à tous contrôles en se substituant à tous les pouvoirs constitutionnels.
Avant de terminer, permettez-nous de susciter rapidement la réflexion sur deux problématiques liées aussi aux autres thèmes de notre réunion.
Il s’agit d’abord des cas particuliers de processus électoraux dans des situations de :
• prévention de conflit qui débouchent sur des élections de transition dans lesquelles la négociation pacifique entre autorité gouvernementale et opposition détermine l’essentiel du processus électoral ;
• post-conflit pour l’organisation d’élections de réconciliation après une guerre civile et pour lesquelles les accords de paix et une implication de la communauté internationale ont une forte influence sur le processus électoral.
Pour les élections post-conflit, des arrangements institutionnels sont souvent trouvés pour permettre que toutes les parties prenantes à la guerre soient incluses dans la scène démocratique car la principale source de légitimité de ces élections doit être la recherche de solutions restaurant la confiance et conduisant à la paix définitive.
La deuxième problématique est enfin relative au système électoral qui constitue aussi une pomme de discorde. Même si, à ce jour, aucun système électoral parfait n’a encore été mis au point, il reste établi qu’il peut être un facteur d’inclusion ou d’exclusion de groupes sociaux de la compétition démocratique. Très souvent, la recherche d’un avantage partisan est le seul motif prépondérant qui détermine le choix d’un système électoral par les gouvernants. Ce qui peut constituer une cause de déstabilisation d’un pays fragmentée en plusieurs ethnies, nationalités ou religions.
Les systèmes électoraux ne servent pas seulement à élire des assemblées, ils contribuent fortement à prévenir et à gérer les conflits au sein des pays qui ont des minorités ethniques, religieuses, etc. Dans ces pays, le système électoral doit être bâti de sorte à favoriser des alliances trans-identitaires, obligeant ainsi les partis et candidats à rechercher des soutiens en dehors de leurs bases ethniques ou régionales habituelles. Des expériences de systèmes électoraux inclusifs mis en place en fonction de circonstances socio-historiques particulières, ont fait leur preuve un peu partout dans le monde. Plusieurs observateurs soutiennent que le système de représentation proportionnelle mis en place en Afrique du Sud, comme mécanisme de partage du pouvoir, a été l’un des facteurs déterminants ayant favorisé la réconciliation nationale.
Concluons en affirmant une conviction quant à la compatibilité entre la démocratie et la cohésion nationale dans le contexte des sociétés multiethniques africaines ! Un jeu démocratique et des processus électoraux sincères et équitables constituent l’alternative la plus éprouvée pour maintenir la cohésion nationale. Pour la réussite d’une telle ambition démocratique, il appartient avant tout aux élites africaines de faire face à leurs responsabilités. C’est par cette interpellation que je termine mon propos et vous remercie de votre attention.
Serigne Mbaye THIAM
Membre du Bureau politique du Parti socialiste du Sénégal